L’effet boomerang : quand le pouvoir d’hier devient la cible d’aujourd’hui

À l’approche de l’élection présidentielle prévue en octobre 2025, l’opposition ivoirienne montre ses muscles. À Abidjan, une mobilisation massive a dénoncé la candidature controversée d’Alassane Ouattara à un quatrième mandat. Réunis sous la bannière du Front commun, les manifestants réclament une réforme électorale, la réintégration des candidats exclus et un retour à un processus démocratique crédible.

À moins de trois mois de la présidentielle prévue pour le 25 octobre 2025, l’opposition ivoirienne a réussi une démonstration de force dans les rues d’Abidjan. Le samedi 9 août, des milliers de personnes ont répondu à l’appel du Front commun – une alliance réunissant le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dirigé par Tidjane Thiam. En défilant pacifiquement à Yopougon, bastion historique de l’opposition, les manifestants ont fait entendre leur voix pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une dérive autoritaire : la candidature du président sortant Alassane Ouattara à un quatrième mandat consécutif.

Brandissant des pancartes et des pagnes à l’effigie de leurs leaders, les manifestants ont scandé pendant plusieurs heures des slogans sans équivoque : « Non à un quatrième mandat ! », « Trop c’est trop ! », ou encore « Pour une élection juste et inclusive ». Ce rassemblement s’est déroulé dans le calme, malgré les tensions politiques qui règnent dans le pays depuis plusieurs mois. Le climat est alourdi par la mise à l’écart de plusieurs figures majeures de l’opposition, interdites de candidature ou écartées de la liste électorale par la Commission électorale indépendante (CEI).

Au cœur des revendications figure la réintégration de leaders emblématiques comme Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé, exclus du processus électoral. Pour l’opposition, ces évictions sont politiquement motivées et sapent la légitimité du scrutin à venir. En plus de cette exigence, les organisateurs réclament une réforme urgente de la CEI et un audit indépendant de la liste électorale. Selon eux, il est impensable d’aller vers un scrutin crédible si les règles du jeu sont biaisées dès le départ.

Parmi les voix fortes de cette mobilisation figurent Sébastien Dano Djédjé du PPA-CI, qui a salué « une mobilisation exceptionnelle, au-delà de nos espérances » et Noël Akossi Bendjo du PDCI, qui a insisté sur la nécessité d’un dialogue national pour éviter une nouvelle crise. La marche a aussi été marquée par la présence notable de membres du Front Populaire Ivoirien (FPI) de Pascal Affi N’Guessan, signe d’un élargissement du front de l’opposition.

Si les autorités se sont abstenues de toute répression visible durant la manifestation, la tension politique reste palpable. Les précédentes élections en Côte d’Ivoire ont souvent été entachées par des violences ou des contestations post-électorales. C’est justement ce scénario que l’opposition cherche à éviter en tirant la sonnette d’alarme dès maintenant. Pour elle, l’histoire ne doit pas se répéter, et la seule voie pour garantir la stabilité est celle d’un scrutin équitable, transparent et ouvert à tous les candidats légitimes.

Cette mobilisation populaire traduit un ras-le-bol face à un pouvoir en place depuis près d’une quinzaine d’années. Alassane Ouattara, président depuis 2011, avait promis de ne pas se représenter en 2020 avant de revenir sur sa décision, invoquant le décès de son dauphin désigné. Sa nouvelle candidature pour un quatrième mandat est perçue par une partie croissante de la population comme une confiscation du pouvoir contraire à l’esprit de la Constitution.

Dans ce contexte tendu, le rassemblement du 9 août pourrait marquer un tournant. Il a montré la capacité de l’opposition à mobiliser largement, malgré les obstacles administratifs, judiciaires et politiques. Il envoie aussi un message clair au pouvoir en place : celui d’une société civile qui ne veut plus être spectatrice de son avenir, mais actrice de son destin. L’enjeu dépasse les questions partisanes et touche à la crédibilité du système démocratique ivoirien dans son ensemble.

Alors que le compte à rebours vers le 25 octobre est lancé, une question demeure : le pouvoir écoutera-t-il cet appel pacifique à l’ouverture et au dialogue, ou choisira-t-il la voie du passage en force, avec les risques que cela comporte pour la paix sociale ? En attendant, l’opposition promet de maintenir la pression dans la rue et dans les institutions, persuadée qu’un autre avenir est possible pour la Côte d’Ivoire.